Pas loin de Landerneau et Brest, vers l'extrême pointe de la Bretagne, se trouve le petit village de La Roche-Maurice. Petit village, certes, mais qui n'abrite pas moins un château, ayant appartenu aux ducs de Léon et à la famille de Rohan, et un enclos paroissial. C'est sur ce dernier que portera mon article.
L'enclos de La Roche-Maurice n'est pas le plus grand, c'est sûr. D'extérieur on n'aperçoit qu'un mur, une chapelle ossuaire, l'église (petite) et, derrière celle-ci, le cimetière.
Enclos paroissiale et église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
Pourtant, ce serait une grave erreur de ne pas entrer et de ne pas chercher plus avant. Si vous passez votre chemin, alors vous passez également à côté de plusieurs œuvres dignes d'intérêt, rares, pour certaines...
L'église est construite v. 1500/20 à 1589 (date inscrite sur le clocher). De nombreux enclos sont dus à l'enrichissement de la classe paysanne bretonne, mais nous sommes ici en présence d'un cas différent. Le château de La Roche-Maurice se trouve à quelques pas de l'église, ce qui pourrait signifier que celle-ci était en fait la chapelle seigneuriale.
Une partie de l'église est en pierre de kersanton, une pierre noire extraite de la Rade de Brest, à mi-chemin entre terre et mer. Pendant les six mois suivants sont extraction, cette pierre contient encore de l'eau et est aussi facilement sculptable que du bois, ce qui permet une très grande finesse (comme sur la photo du bénitier, ci-dessous). Puis, l'humidité s'évapore et la pierre durcit (à noter qu'elle noircie aussi avec le temps). Le kersanton présente donc l'avantage d'être facilement sculptable mais en même temps solide... et peu cher, car les carrières ne sont pas loin !
Bénitier du porche sud, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
L'entrée se fait communément par le porche sud, où l'on peut remarquer les douze apôtres dans les voussures, ainsi qu'un décor de rinceaux de vignes (observons d'ailleurs que les rinceaux sont "creux", nous pouvons passer la main entre le mur et eux, ce qui prouve encore la finesse de la pierre).
Dès l'entrée dans l'église, nous pouvons apercevoir la première, et certainement la plus importante, des œuvres que renferme l'église Saint-Yves : le jubé.
Le jubé, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
Mais qu'est-ce qu'un jubé ? Une tribune fermant le chœur, souvent en forme de clôture d'où le prêtre faisait son sermon. Son nom vient des premiers mots d'une phrase dite lors de la messe : "Jube Domine benedicere..." ("Daignes, Seigneur, me bénir..."). En plus de la prêche, le jubé avait pour fonction de séparer les riches... et les moins riches ! Aujourd'hui il reste bien peu de jubés car nombreux furent détruits suite au Concile de Trente... Il en reste un à Paris, à l'église Saint-Étienne-du-Mont.
À La Roche-Maurice, le jubé s'étendait sûrement sur les bas-côté et possédait probablement une porte centrale. Il date du XVIe siècle et est entièrement peint (mais a subit des restaurations au niveau des couleurs, ce qui fait que l'on n'a pas affaire aux coloris d'origine).
Au niveau de la tribune se trouvent le Christ accompagné de la Vierge et saint Jean. Sur la tribune se trouvent une série de douze personnages : trois papes et neuf apôtres. Pourquoi n'y a-t-il pas les apôtres au complet ? Les neuf présents tiennent un livre (donc ils écrivent la Parole) et les papes font un geste d'élocution (donc ils répandent la Parole), tandis que saint Jean fait les deux : il est le lien entre les papes et les apôtres. Bien que cela soit difficile à voir, les figures sont en ronde-bosse.
Dans une loge, à gauche, se tient sainte Marguerite, et dans la loge de droite sainte Anne et la Vierge. Plus étonnant, le bas de la claire-voie contient des motifs de masques amérindiens, de tomates et autres... Les artistes étaient inspirés par ce qui arrivait du Nouveau-Monde et qu'ils pouvaient observer dans les ports à proximité.
À la hauteur du plafond à caissons aux motifs variés se trouvent huit grotesques (quatre de chaque côté), toutes différentes.
Grotesques, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
L'autre face du jubé contient une série de personnages, de gauche à droite : saint Pol de Léon, un évêque inconnu (peut-être Claude de Rohan), saint Christophe, saint Michel, sainte Marie-Madelaine, le Christ, une sainte non identifiée, sainte Barbe, sainte Apolline, sainte Geneviève de Paris (assimilée à une sainte locale au nom semblable) et sainte Marguerite.
Côté est du jubé, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
Le chœur de style gothique abrite une autre œuvre d'intérêt : la maîtresse-vitre datant de 1539 et fabriquée par Laurent Le Soidec, maître verrier finistérien. La Passion y est narrée et contient des influences telles que Dürer ou Bosch. Les couleurs y sont belles et éclatantes grâce à une restauration. La partie supérieure bleue et contenant les blasons des différentes branches des Rohan date, elle, du XIXe siècle.
Maîtresse-vitre, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
Le vitrail est encadré de deux statues du XVIe siècle : à gauche Notre-Dame de Bon Secours et à droite saint Yves rendant la justice.
Pour finir à l'intérieur de l'église, il faut prêter attention aux blochets et sablières. Non, pas des bacs de sables, mais des poutres soutenant la charpente ! Ici elles sont sculptées de motifs de la vie quotidienne : jeux, scènes paysannes, enterrement etc. Les sculptures, moins fines que celles du jubé faites par des ateliers de sculpteurs professionnels, sont ici réalisées par des charpentiers.
Sablière du laboureur, bas-côté nord, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
De retour à l'extérieur, la chapelle ossuaire abrite aujourd'hui le musée du château. Elle date de 1639-40 et est en pierre jaune de Logonna, une pierre locale, difficile à sculpter en finesse mais très bonne pour faire des pierres de taille, et en schiste. Son décor comporte une série de niches, ainsi que dans le sous-bassement une série de personnages représentants la société et surmontés, à gauche, d'un bénitier surmonté de l'Ankou. Celui-ci pointe sa flèche vers les sujets, accompagné d'une inscription : "je vous tue tous". Calvaire du XVIe siècle.
Chapelle ossuaire, église Saint-Yves de La Roche-Maurice, Finistère
Actuellement l'église n'est pas visible car en cours de restauration. Il faudra attendre encore quelques années afin pour pouvoir profiter de nouveau du jubé, du vitrail et des sablières.
Le château reste quand à lui accessible, ses ruines renferment une histoire intéressante que vous pouvez découvrir seuls grâce à des panneaux explicatifs ou, en juillet et août, grâce au guide se trouvant dans la chapelle ossuaire de l'enclos. Gratuit.
Des commentaires ? Des questions ? N'hésitez pas !